Les prises accessoires au Brésil : collaborer pour la durabilité

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Fanny Vessaz possède une maîtrise en biodiversité marine et conservation de l’Université Fédérale de Paraná au Brésil.  Elle a reçu en 2014 une bourse d’études du MSC. Son sujet de recherche portait sur l’évaluation des dispositifs de réduction des captures accessoires dans la pêcherie chalutière de crevette seabob au sud du Brésil. Elle nous en dit plus sur l’importance de collaborer et d’entendre les communautés de pêcheurs.

Le Brésil est un pays très varié, et ses pêcheries le sont tout autant. Parmi les petites pêcheries de crevettes, les méthodes utilisées peuvent différer drastiquement, même si la réglementation est la même. Durant cette année de recherche, j’ai pu explorer les dynamiques d’une pêcherie chalutière de crevette au sud du Brésil et me pencher sur la problématique des captures accessoires (les captures non intentionnelles d’animaux marins qui ne sont pas ciblés par la pêcherie).

Pour encourager la durabilité de la pêcherie et atténuer la perte par rejet de protéines précieuses, un projet de mise en place de Dispositifs de Réduction des Captures Accessoires (Bycatch Reduction Devices – BRD) est en cours. Les BRD peuvent être des modifications d’engins de pêche permettant d’exclure les captures accessoires, soit par sélection par la taille, soit en capitalisant sur les capacités de nage des différentes espèces.

Les captures accessoires pour les pêcheurs

Pour être efficace, les BRD doivent être fréquemment testés et adaptés aux caractéristiques spécifiques d’une pêcherie. Il ne faut pas négliger l’importance que revêt la dimension humaine. Dans des pêcheries de petite taille, les opinions des pêcheurs sont souvent négligées par des systèmes de gestion en commun, alors qu’elles peuvent jouer un rôle clé pour déterminer la pertinence des stratégies d’atténuation des captures.

Les prises accessoires peuvent fournir une source alimentaire et de revenus alternative. Ce fut l’objet de mes travaux de recherche. Avec un autre étudiant, nous nous sommes rendus dans des communautés de pêcheurs pour enquêter sur l’utilisation des prises accessoires et les perceptions des pêcheurs.

Janvier-février 2014 : L’immersion

Les pêcheurs artisans doivent souvent faire face à des réglementations qui n’ont pas été adaptées à leur situation et mises en place sans consultation préalable. Parfois même, ils ont partagé leurs expériences mais les nouvelles réglementations ne les prennent pas en compte.
C’est dans une atmosphère de méfiance que nous sommes arrivés dans un petit village de pêcheurs, au volant d’une voiture affichant nettement notre provenance « Université Fédérale – Voiture officielle », nous faisant passer pour des agents du gouvernement en visite de contrôle aux yeux de certains pêcheurs. Heureusement que nous connaissions l’un d’entre eux qui nous a permis de créer des liens avec ses collègues.

Nous y avons appris l’importance de l’immersion dans un contexte local, du partage de la routine et des vraies relations. De très nombreuses informations ne peuvent être partagées lors d’interviews programmées, c’est pourquoi, nous avons gardé nos yeux et oreilles ouverts.

Grâce à cette immersion, j’ai pu remplir mes objectifs premiers De retour au bureau, ma mission était de transmettre fidèlement les informations recueillies et d’évaluer la pertinence des stratégies d’atténuation des prises accessoires pour cette pêcherie. En bref : certains des plus gros poissons capturés par la pêcherie en tant que « capture accessoire » sont importants pour la consommation et représentent également des avantages économiques importants pour certains pêcheurs. Donc un BRD dont le but est uniquement d’exclure les animaux les plus petits et les juvéniles, via des panneaux d’échappement par exemple, serait une option intéressante à tester dans cette pêcherie.

Ateliers avec les pêcheurs © Fanny Vessaz

Ateliers avec les pêcheurs © Fanny Vessaz

Mars et Avril 2014 : Les collaborations

En gestion de pêcheries, les approches collaboratives ont prouvé qu’elles augmentaient le développement de réglementations adéquates et qu’elles encourageaient une plus grande conformité. Si les méthodes sont adaptées aux besoins locaux, les résultats sont généralement positifs, parfois inattendus et amènent à des solutions innovantes. De plus, le savoir des pêcheurs est important à intégrer avec des données scientifiques, en particulier lorsqu’elles sont inexistantes ou difficiles à recueillir. La collecte de données de surveillance est également beaucoup plus facile lorsque les pêcheurs sont impliqués.

Pour notre projet, nous avons organisé des groupes de travail dans deux communautés de pêcheurs afin de développer des stratégies collectives adaptées. Le principal objectif était d’atteindre un consensus sur le BRD le plus approprié à tester sur cette zone.

Retour à l’école

Nous avons présenté les résultats d’expériences précédentes avec des BRD mis en place au sud du Brésil et nous avons discuté de la meilleure alternative, en prenant en compte les dimensions socio-économiques associées aux prises accessoires (par ex. vente, consommation). Notre présentation s’est faite dans une école primaire, ce qui a fait ressurgir des souvenirs d’enfance pour certains pêcheurs.
Plus concrètement, les pêcheurs et les chercheurs ont pu travailler et apprendre ensemble.

Durant ces groupes de travail, j’ai réalisé combien les pêcheurs sont sources de connaissances et sont prêts à les partager, notamment des idées sur l’adaptation des BRD. Ils étaient également curieux des résultats des précédentes expériences, même si un peu suspicieux à ce sujet.
Il fut intéressant de voir que les résultats pour les captures de crevettes avec des BRD testés étaient considérés trop bas (bien qu’ils correspondent à des valeurs de captures de ‘bon jour de pêche’ comme l’indiquaient ces mêmes pêcheurs quelques jours plus tôt). En contraste, les résultats pour les captures accessoires étaient trop importants pour eux, comme s’il n’était pas possible de rejeter autant. Puis, dans un second groupe de travail, un pêcheur a reconnu que de larges quantités de captures accessoires étaient rejetées par-dessus bord et représentaient un gâchis représentatif.

Tests de dispositifs de réduction des captures accessoires – © Fanny Vessaz

Tests de dispositifs de réduction des captures accessoires – © Fanny Vessaz

Des solutions collectives

En général, peu de pêcheurs ont connaissance des impacts écologiques des rejets. Alors que nous tentions de gagner leur confiance sur des stratégies d’atténuation de captures accessoires, les bénéfices à long terme tels que la préservation des stocks de poissons ont moins d’impacts que les bénéfices économiques à court terme. C’est le challenge auquel les chercheurs doivent faire face – développer des motivations qui répondent aux préoccupations socio-économiques des pêcheurs au jour le jour. Par exemple, une perte de prise accessoire de valeur avec des BRD peut être compensée par la pêche de grandes crevettes, comme l’ont remarqué plusieurs pêcheurs lors de nos ateliers.

Le message à retenir ici est l’importance de l’approche de l’étude. Un processus participatif favorise la confiance entre pêcheurs et chercheurs. Cela crée une plateforme ouverte où les idées sont partagées et les solutions développées collectivement. Plus important, les préoccupations des pêcheurs sont sérieusement prises en compte, permettant d’éviter les stratégies de gestion inadaptées. Le rôle des chercheurs, qui font le lien entre les gestionnaires et les pêcheurs, parfois en conflit, est essentiel. Cela peut mener à des approches alternatives comme des co-gestions adaptées – un processus où toutes les parties prenantes sont impliquées dans la prise de décision. Cela peut à son tour produire des stratégies de pêche à long terme mieux acceptées et plus durables.

Le programme de bourses d’études du MSC est ouvert jusqu’au 1er février 2016.

 

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